Avant même de parler de Visionary Marketing, tu viens de lire le RESPONSABLES ! by Adetem, quelle est ta première réaction ?
J’ai deux réactions en fait.
Au premier degré, ma première impression est que je ne peux qu’être favorable à une démarche marketing plus responsable et respectueuse non seulement du consommateur, mais au-delà comme vous le proposez avec vos quatre « R », de la planète des concitoyens des consommateurs et des collaborateurs.
Au deuxième degré, je sais à quel point Greta Thunberg est clivante et son nom et son image parmi les marketeurs peu respectueux — pour reprendre votre terminologie — sont comme un chiffon rouge agité devant les yeux d’un taureau affamé prêt à bondir sur son torero. D’un point de vue du marketing éthique, j’ai donc des doutes quant à notre capacité à changer l’attitude de ces marketeurs, qui sont pourtant ceux qu’il faut convaincre, si on utilise contre eux l’argument d’une personne que, précisément, ils ne respectent pas. Par ailleurs, j’écris cela sans intention idéologique, la remise en cause de l’économie de marché (critiquer les dérives de la consommation débridée sera immanquablement vu comme cela par certains) est un débat philosophique majeur et utile, qui est loin de faire l’unanimité.
Je pense que la bonne méthode est d’attaquer les marketeurs irrespectueux avec leurs armes : le manque de respect, à terme, c’est la mort de leurs clients et donc la mort de leur business. Plus, c’est moins. Ils n’écouteront pas d’autres arguments. Pas sûr que cela suffise cependant. Regardons par exemple ces entrepreneurs et gouvernements de nombreux pays, y compris français, qui se préparent à profiter de la fonte des glaces pour ouvrir de nouvelles routes maritimes et forer de nouveaux puits de pétrole et ouvrir de nouvelles mines.
La route sera longue pour convaincre les partisans du business irresponsable.Tu es le fondateur de Visionary Marketing et tu rencontres à ce titre de nombreux marketers : la pensée « responsable » se développe-t-elle réellement aujourd’hui ?
Il est difficile de faire des statistiques, il serait peut-être judicieux que l’Adetem lance une étude auprès des marketeurs à ce sujet. On n’y mesurera que le déclaratif cependant.
Dans les mots, les attitudes « responsables » sont certainement très répandues. Et pourtant, dans les faits jamais la dégradation de l’environnement n’a été aussi importante ni l’urbanisation aussi galopante, le marketing débridé — pour reprendre votre terminologie — aussi fort. L’éthique n’est pas non plus toujours en haut des préoccupations, comme l’a démontré l’affaire Nestlé, pourtant seulement le minuscule sommet émergé d’un immense iceberg. Les « Growth Hackers » de tout poil inondent les médias sociaux professionnels à la recherche de données personnelles à « scraper » (racler) afin d’inonder la planète de messages non sollicités, les défauts de transparence, voire la désinformation sont aussi des tentations des marketeurs peu scrupuleux.
Le système au total est prisonnier de sa logique de croissance infinie. Il est prisonnier aussi d’attitudes politiques partisanes où finalement, le débat intellectuel sur la façon dont devrait fonctionner le monde, une question philosophique majeure, est impossible car remettre en cause la croissance c’est inévitablement être labélisé d’ « Amish », et vice versa. Sans doute que la période actuelle n’est pas très propice à cette réflexion de fond apaisée et rationnelle.
Enfin, en dehors des règles du jeu, ce sont les consommateurs eux-mêmes qu’il faudra changer.
En France se développe à la vitesse V un nouveau type de distribution : les ultra-discounters. On ne parle plus de hard-discounters ni d’hyper-discount, on y vend des produits de moins de 2 euros et les consommateurs font la queue à l’entrée du magasin pour remplir leur caddie de produits dont les témoins du JT interviewés par la journaliste, avouaient eux-mêmes qu’ils n’avaient pas besoin.
Comme dans le commerce de la drogue, s’attaquer aux dealers sans diminuer la consommation n’a ni sens ni efficacité. L’hyper consommation est une drogue. N’entend-on pas certaines personnes dire qu’elles vont faire du shopping pour se déstresser ? Le rôle du marketeur n’est donc pas seulement de changer ni d’adopter une attitude respectueuse. Il est aussi d’éduquer le public pour qu’il apprenne à raisonner autrement.
En conclusion je pense que la pensée responsable se développe, dans les pays occidentaux, mais que les actions restent minimes et finalement peu efficaces à l’échelle de la planète qui va gagner 3 milliards d’individus dans les 15 ans qui viennent, qui vont se nourrir et consommer à tout va.
Quel est ton engagement personnel en faveur d’un marketing plus responsable ? Réussis-tu à convaincre tes clients ?
J’ai en fait toujours été attiré par les problématiques d’environnement et d’éthique. J’en fais pour ma part une pierre d’angle de mon travail. Mes clauses transparence sont connues sur Visionary Marketing. J’en fais la promotion depuis plus de 15 ans. Il arrive même que mes lecteurs les partagent ou fassent des commentaires positifs sur ces clauses qui sont pour nous très importantes.
Heureusement, tous nos clients sont en phase avec cette philosophie, qui pour nous est un préalable à tout travail de confluence (contenu & influence). Il y a en outre de nombreux secteurs que nous jugeons non-éthiques pour lesquelles nous ne travaillerons jamais par principe. Le tabac par exemple. Nous avons été sollicités pour ce type de mission, impossible pour nous. Comment promouvoir un produit qui tue 45 000 personnes par an en France ?!
Je mène également ce travail d’évangélisation autour de l’éthique dans les écoles depuis 15 ans. J’ai contribué à former à ces techniques du marketing du bouche-à-oreille, qui est un marketing du respect et de l’éthique, des milliers d’élèves. Je rencontre en général la bienveillance des auditeurs et des élèves. Malgré cela, j’ai fustigé ces excès de nombreuses fois sur Visionary Marketing, la pratique de l’éthique en France est assez folklorique. En comparaison, tous les membres de socialmedia.org sont biberonnés aux clauses d’éthique d’Andy Sernovitz, fondateur de l’association et auteur de « Word of Mouth Marketing ». Les marketeurs français se complaisent à critiquer l’Amérique, mais ils ont le sens de l’auto critique assez peu développé et c’est bien dommage.
De grands progrès sont donc à faire dans ce domaine.
Quelles sont encore les marges de progrès des entreprises que tu côtoies ?
Les pratiques malhonnêtes et irrespectueuses du marketing restent nombreuses malgré les discours, mais je suis d’avis aussi qu’il faut éviter à tout prix de se transformer en éco-anxieux ou éthico-anxieux.
Il faut essayer de changer ce que l’on peut changer et garder en tête la prière de la sérénité (de Marc Aurèle) :
Dieu me donne la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changerLe courage de changer ce que je peux changerEt la sagesse pour être capable de toujours faire la différence entre les deux
Je continue et continuerai donc jusqu’au bout, à promouvoir un marketing éthique et responsable.
Tout en essayant d’éviter l’anxiété que j’ai décrite plus haut, je dois avouer humblement cependant que je ne suis pas très optimiste pour la préservation de l’environnement ou plus exactement je pense qu’elle n’interviendra que le jour où une catastrophe arrivera. Je le déplore bien entendu, mais je ne pense pas que les êtres humains soient capables de changer de modèle sans ce sentiment d’urgence. Les marketeurs seront-ils plus intelligents que leurs publics, et seront-ils capables de les éduquer de manière responsable ?
Je le souhaite et c’est pour cela que je soutiens l’initiative de l’Adetem.