Sollicité par Alain Tripier, Bruno Marzloff, sociologue et prospectiviste, président de la Fabrique des Mobilités a choisi de réagir à 3 évidences.
Évidence n°5 : Dans un monde fragilisé par la défiance envers les institutions et les marques, le marketing doit être un tiers de confiance…. Le contrat de confiance, en quelque sorte !
Bruno Marzloff : La confiance, c’est la condition première de la légitimité. Elle donne l’accès à la qualité, au dynamisme et l’intensité des échanges. C’est « un vrai sujet ». Mais de quelle confiance parlons-nous ici ?
Ce qui me semble devoir être exploré là, n’est-ce pas plutôt les niveaux de confiance entre les acteurs et à toutes les échelles que « la confiance en un monde plus juste, plus sain, plus beau », telle que soulignée dans le commentaire de l’Evidence n°5. Celle-ci est la condition de celle-là, pour réélaborer des imaginaires en accord avec l’actualité et surtout pour leur apporter la coloration qu’on en attend. Sur quoi peut-on s’entendre avec les usagers ? (on n’ose plus dire consommateurs !) quand le mythe prométhéen du progrès et du solutionnisme s’efface et qu’en regard ceux qui y restent fidèle renvoie à l’effondrement, aux retours à la bougie et au supposé déclassement des Amishs.
Après il reste à investiguer les valeurs qu’on tient là pour acquises. Ce n’est qu’avec les réponses à ces questions, qu’on peut réinterroger le marketing. C’est à l’aune de ces confiances croisées, complexes et infinies qu’on peut définir alors la marque, et la relation avec ses clients et utilisateurs.
C’est aussi en utilisant le filtre confiance qu’on peut réduire le dark side des réseaux sociaux. Ces derniers sont forcément ambivalents, capables du meilleur et du pire. Comment faire saillir le meilleur ? Une question de confiance, là encore.
11. Le marketing durable est l’antonyme de l’obsolescence programmée…. Ah quel bonheur d’avoir un mari bricoleur !
Bruno Marzloff : J’entends dans ce texte “Au complot de l’obsolescence programmée, c’est nous qui payons les pots cassés ! “ Comment s’en dépêtrer ? Je sens une erreur dans la formulation de l’enjeu, dans la position de défense adoptée. On peut être plus constructif. Il s’agit moins de déloger les has-been de la consommation irresponsable que de définir ce que seraient les pionniers d’une consommation responsable. Il s’agit aussi de dépasser la conception d’un objet fini, laissé aux usagers comme un produit de consommation qui s’épuiserait petit à petit par obsolescence. Il s’agit enfin d’assumer que c’est forcément se tirer une balle dans les pieds et scier la branche du modèle sur lequel on est assis, … et donc forcément en inventer un autre.
Il faudrait aussi un zeste de discernement pour se rappeler que chacun est complice dans ces dérives d’abus de consommation. Chaque maillon de la chaîne est responsable. N’est-ce pas le moment, sinon de l’admettre, au moins de formuler de nouveaux engagements ? pour faire montre de « responsabilité » – autre valeur cardinale avec la confiance. On ne peut pas continuer dans le mensonge comme on l’a été avec le marketing et la communication en adoptant de nouveaux éléments de langage pour que « tout change sans que rien en change ».
Derrière l’éthique et les vertus des 5R (Refuser, Réduire, Recycler, Réparer, Réutiliser), on entend la question « Par quoi remplacer l’obsolescence programmée » ? Mais ce n’est pas le sujet, ou plutôt on doit préalablement s’entendre sur les évolutions à l’œuvre qui font sens pour les usagers.
Faire sens c’est répondre à quoi ? En vrac et sans doute d’abord, praticité, économies, accessibilités, mais en ayant en tête que cela s’inscrit dans un autre contexte (à fabriquer) d’urbanités, d’apaisements, de respect du climat et de la biodiversité, mais aussi de frugalité, de décloisonnement, d’ouverture, de transparence … Ce n’est pas pour faire de la bien-pensance, mais pour trouver les ressorts d’un changement de modèle qui satisfassent aux exigences (et s’entendre sur ce que sont ces dernières).
La question des services m’apparaît prioritaire dès lors que la valeur (financière) de l’objet lui-même se réduit et se déplace pour laisser de la place à d’autres valeurs (d’usage, de responsabilité, de bien commun). Il reste à incarner un produit/services dans cette représentation inédite et donner à voir ses nouveaux coûts et bénéfices, individuels et sociaux. Mais comment représenter le “rayon des services” ?
L’exemple de la société Kippit crée en 2021, évoquée dans nos échanges, montre les limites du débogage de l’obsolescence programmée. Toutes les normes – de productivité, d’usage, d’économie… – se dressent sur le chemin de la réparabilité. La bouilloire réparable à 245€ s’est heurtée aux dures réalités du marché et la société toulousaine qui revendiquait ce concept innovant à été placée en liquidation judiciaire le 22 septembre dernier !
22. La RSE est la meilleure alliée du marketing pour affronter la finance souveraine…. A deux c’est mieux pour escalader le mur de l’argent
Bruno Marzloff : Tout est dans l’injonction citée dans le commentaire de cette évidence: « en respectant la nécessité de développer des activités profitables et éco-responsables ». Comment gérer un oxymore ? deux termes a priori contradictoires ou en tout cas souvent présentés comme tel. Quand par exemple la puissance publique affirme « Pas moins de mobilité, mais mieux de mobilité », elle n’a pas conscience qu’elle s’enferme dans le piège de la croissance, en tout cas dans un dilemme où le « mieux » est forcément l’ennemi d’un incontournable « moins ». Le moins est là, qu’on le veuille ou non il est dans les assignations à réduire nos consommations d’énergie, à moins manger de viande, à réduire nos empreintes, à re-fabriquer de la biodiversité, etc., car on est sommés de préserver nos ressources. Comment envisager une logique de profit dans ces conditions ? Comment redéfinir le profit ? Comment mesurera-t-on le profit ? S’extraire du productivisme et de sa fuite en avant, ce n’est pas une mince affaire.
Bruno Marzloff, sociologue et prospectiviste, président de la Fabrique des Mobilités
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