Nous devons admettre, sans entrer dans les polémiques bien réglées qui servent surtout de contre-feux ô combien stériles, que nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène. En faire la
cartographie est un vrai et beau défi à l’heure où son point fondamental n’est pas encore officiellement reconnu (ça risque de prendre un peu temps d’ailleurs). Et bien considérer un de ses corollaires : le changement climatique et la crise du vivant remettent profondément en cause notre modèle de société moderne fondé sur le capitalisme industriel et la croissance économique perpétuelle (on attend toujours les fruits des graines de l’ « économie verte » – bien trop vite déformée en « croissance verte » – plantées à Rio en 1992 à l’occasion du Sommet de la Terre).
Dans ce contexte, le marketing doit contribuer au changement de logiciel de notre société, notamment en participant à la construction de (nouveaux) récits collectifs cohérents avec l’état du
monde. Le marketing a le devoir de raconter des histoires, mais pas n’importe lesquelles. Ce qui ne veut pas dire raconter la même et seule histoire. Mais ce qui passe sans doute par commencer à déconstruire certains discours (les technosolutionnistes comme les technophobes d’ailleurs) et façons de (conce)voir, symboles de l’hubris moderne : l’homme n’est pas plus « maître et possesseur de la nature », il en fait partie ; et toute évolution technologique n’apporte pas forcément un progrès, mais certaines oui.
Bien sûr, pour que la contribution du marketing à ce changement soit efficace, pour ne pas écrire possible, il faut concomitamment ajuster deux ou trois choses. Notamment que la responsabilité sociétale des entreprises sorte, comme c’est trop souvent le cas, de la case « greenwashing » : ce qui passe par la fin du prisme « financier » des modèles économiques (N.A. : ajoutons sociétaux et environnementaux !), des normes comptables modifiées (à quand une entreprise mise en faillite environnementale ?), etc.
Ceci devrait nous permettre de sortir de situations ubuesques, telles celle que connait le secteur automobile, même si le secteur de la mobilité n’est pas le plus trivial à gérer par les temps qui courent (à quand un réel progrès technologique ?) : 42 % des dépenses publicitaires du secteur automobile en France étaient consacrés en 2019 au segment des SUV (soit un investissement publicitaire moyen de 2 300 € par unité vendue) alors que la France cherche à rendre moins abordable leur acquisition (avec l’instauration en 2022 de la taxe sur la masse en ordre de marche) histoire de respecter les engagements pris sur l’émission de CO2 .
Le marketing doit contribuer au changement de logiciel de notre société. Et de façon symétrique et récursive, le marketing doit contribuer au changement de logiciel de l’entreprise, dans une sorte de réinvention- harmonisation de l’approche systémique historique « marketing stratégique-marketing de l’offre ». Le rôle du marketing est en effet d’éclairer l’entreprise sur les tendances, aspirations et attentes de la société et des citoyens /consommateurs, et de lui proposer des chemins à emprunter
viables dans la durée.
À l’heure de l’Anthropocène, le marketing doit donc relever le défi de convaincre en interne qu’il est possible de rendre désirables et accessibles des solutions simples, durables pour l’environnement et bénéfiques (remarque : avec une acception augmentée) pour les consommateurs et l’entreprise. Et faire ce qui est dit sur le plan opérationnel : écoconception et écodiffusion dans le cycle « conception – promotion – acquisition – fin de vie » complet de l’offre. Bref en mettant en société (et non plus sur le marché) une proposition, tout en se préoccupant d’éventuels « communs négatifs » ou autres effets rebonds.
Évidemment, pour que cela soit possible, il faut qu’autour de la table du comité exécutif le poids du pouvoir de décision de la personne chargée des affaires financières (CFO) soit le même que celui de la personne chargée du marketing (CMO), et que celui de la personne chargée de la responsabilité sociale et environnementale. Car les critères de sélection utilisés en un tel lieu sont trop souvent strictement financiers. Avec comme corollaire, que ce changement soit sincère.
Il y a pour moi deux binômes de valeurs qui sont des intangibles pour le marketing :
Auxquels je rajoute désormais un autre binôme : ouverture et coopération
Ecoute et esprit d’innovation sont nécessaires pour recueillir les attentes des parties prenantes, quelles qu’elles soient, et apporter des réponses pertinentes (certes, vous allez me dire qu’il manque au milieu l’esprit d’analyse mais tant pis !).
Responsabilité et authenticité car tout (et surtout n’importe quoi) ne peut pas être fait ou dit et que ce qui est fait, proposé et raconté doit être cohérent. Et ce sont les précurseurs systématiques de la confiance.
Ouverture et coopération car elles sont à la fois des auxiliaires indispensables pour l’innovation et permettent également des approches plus économes et donc plus durables.
Comment s’incarne / qui incarne le marketing aujourd’hui ?
Le marketing doit s’incarner en donnant du sens. Au client. Au citoyen. Au collaborateur.
Les organisations à mission (les vraies hein 😉 ) y arrivent peut-être un peu plus facilement.
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