Au-delà des limites étroites de l’entreprise, le marketing exerce-t-il une fonction sociétale ?
La réponse s’impose : oui !
Est-ce nouveau ? Non !
Dans les années 80, avec l’arrivée des radios musicales, le marketing s’est profondément incrusté dans le monde de la musique, non seulement en recourant à des panels d’auditeurs pour connaître l’acceptabilité des nouveaux titres, mais aussi en façonnant ensuite les goûts des mêmes auditeurs en passant en boucle les playlists les plus rentables.
Jusqu’à la fin du siècle dernier, l’industrie de la mode produisait deux collections par an, une pour l’été, la seconde pour l’hiver et les consommateurs s’en satisfaisaient pleinement : des vêtements pour les beaux jours, et d’autres pour les premiers frimas.
Puis des enseignes ont lancé la fast fashion – évidemment synonyme de gâchis – jusqu’à aujourd’hui la caricature d’une enseigne comme Shein qui se développe malgré les critiques : obsolescence rapide des produits, non-respect de la planète, non-respect des ouvriers qui produisent dans des conditions déplorables, etc.
Les citoyens demandaient-ils que la mode change tous les jours, ou presque ? Certainement pas ! Mais aujourd’hui, pour un certain nombre d’entre eux, c’est devenu LA norme.
Nous visons en collectivité et de nombreux psychologues comme Asch ou Milgram ont souligné l’influence du groupe et … des influenceurs – pour reprendre un terme très à la mode dans le domaine de la communication aujourd’hui –, sur les actions individuelles.
Marketing et publicité valorisent des normes et des valeurs qui influencent les comportements des consommateurs : les jeunes aiment danser sur la musique qu’ils entendent à la radio, et porter les mêmes vêtements que leurs pairs.
Soyons honnête : le marketing n’est pas le seul coupable, les médias contribuent également à créer des archétypes sociétaux, télévision et internet en tête auxquels les individus vont peu ou prou se conformer, parfois au détriment de leur propre santé ou bien-être.
Par exemple celui du jeune bien dans sa peau qui grignote avec ses copains se retrouve tant dans les séries télévisées que dans les écrans publicitaires qui les coupent … et l’on s’étonne ensuite de l’inquiétante montée de l’obésité dans nos sociétés occidentales !
Le marketing doit aujourd’hui proposer d’autres modèles sociétaux, notamment dans sa communication, que ceux nuisant à la planète – comme la fast fashion – ou aux individus, tant à la production – la fast fashion encore – ou à la consommation – alimentation ultra transformée par exemple.
On note çà et là de louables initiatives : Camif qui ferme son site lors du Black Friday, Maif qui valorise une réparation responsable, Ikéa qui propose de donner
une seconde vie au mobilier, etc.
Une des fonctions – souvent tacite – du marketing a toujours été de proposer aux consommateurs des archétypes auxquels ils peuvent se conformer ; aujourd’hui, il est temps de renouveler lesdits archétypes pour un monde meilleur.
Longtemps les marketers se sont considérés comme des passeurs, ceux qui permettent à la voix du consommateur de se diffuser dans l’entreprise : en perpétuelle écoute, ce sont eux qui débusquent les insights à la création et au positionnement des produits et services.
Ce sont eux qui comprennent que les conducteurs aiment dominer la route et que les ménagères n’ont plus le temps de mitonner de bons petits plats : alors on leur propose des SUV et des plats préparés, sans trop se soucier de la pollution engendrée par les premiers ni des risques d’obésité liés à la consommation de produits alimentaires ultra-transformés.
Il est clair qu’aujourd’hui le marketing ne peut plus se contenter d’écouter ce que souhaitent les consommateurs, ni de suivre sans discernement les insights découverts :
Sans renoncer à être le passeur des consommateurs et à porter leur voix dans l’entreprise, le marketer doit également devenir une sorte de « passeur sociétal », celui qui porter la voix de la société dans l’entreprise, de ses mutations profondes, et des courants, certes en devenir, mais inéluctables.
Plus que jamais, la fonction marketing sera une fonction de prospective, évidemment bien souvent en butte avec les visions plus court-termistes, notamment la finance et les ventes : il est plus compliqué de faire accepter une mode qui n’est plus basée sur la fast fashion que de se contenter de vendre à bas coûts des vêtements confectionnés dans des conditions déplorables à l’autre bout de la planète.
Les valeurs fondamentales du marketing
Honnêteté : La value première est l’honnêteté, car la plaie aujourd’hui est le greenwashing « au sens large » – en fait, le mensonge devrait-on plus simplement dire, qui peut-être :
Bien souvent, le mensonge résidera dans un respect à la lettre de ses engagements, comme dans le cas précédent, et non dans l’esprit : il convient de se mettre à la place du consommateur et de se demander ce qu’il va comprendre ; et si, ce qu’il va comprendre n’est pas totalement conforme à la réalité, on corrige.
Le manque d’honnêteté constitue la plaie majeure du marketing, ce qui amène les consommateurs à le considérer comme une plaie : il convient de changer les pratiques et les dires et de faire en sorte que la mission sociétale du marketing devienne réalité.
Organiser une seconde vie pour les vêtements est louable, mais si c’est pour permettre aux clientes d’acheter encore plus de fast fashion, c’est mentir sur sa posture éco-responsable.
Vendre des produits bio pour offrir aux consommateurs une alimentation plus saine, synonyme de meilleure santé, c’est bien … mais vendre des plats cuisinés ultra transformés à base de produits bio, c’est tromper des clients qui croient accéder à une nourriture saine ; par ailleurs, le magazine 60 millions de consommateurs a constaté que des œufs et du lait bio pouvaient contenir plus de polluants que leurs équivalents non bio !
Transparence : Pour ne pas prendre le risque de se voir taxer de greenwashing, les entreprises doivent permettre aux consommateurs et aux citoyens de contrôler leurs dires :
Il est trop aisé de mettre en avant des pratiques vertueuses pour en dissimuler d’autres, qui le sont beaucoup moins.
Empathie : Trop souvent j’ai entendu des marketers avouer : « Finalement, je n’aimerais pas trop qu’on me fasse ce que je fais », en évoquant par exemple des techniques de ciblage, d’utilisation des données personnelles, etc.
Avant de chercher à trouver la faille, l’insight « qui tue », le marketer devrait essayer de se mettre à la place du consommateur : sinon, comment pourrait-il prétendre devenir son porte-parole au sein de l’entreprise.
L’empathie est bien souvent la qualité qui manque le plus aux marketers, peut-être parce qu’elle implique parfois des choix difficiles : ce qui peut être bon pour l’entreprise – comprendre : source de profits – peut se révéler mauvais pour les consommateurs – nuisible à la santé, inutile mais couteux, etc.
Et une réelle démarche empathique pourrait alors conduire le marketing à s’opposer à d’autres départements, notamment la finance – les profits avant tout – ou les ingénieurs de la R&D – on ne va pas remettre en cause une prouesse technologique sous prétexte qu’elle n’est pas « bonne » pour les consommateurs !
Plus que le simple porte-voix des consommateurs, le marketer doit devenir un passeur d’empathie.
Comment s’incarne (qui incarne) aujourd’hui le marketing ?
La question peut paraître naïve : qui, mieux que le directeur marketing, pourrait incarner le marketing … si ce dernier était réellement libre de ses choix et de les appliquer !
Or ceux-ci se heurte bien souvent au mur du profit et de la rentabilité – donc aux directeurs financiers et commerciaux : d’où la nécessité d’un arbitre pour trancher, qui fera pencher la balance en faveur du marketing … ou pas ; et cet arbitre, capable d’empathie, ne pourra être que le dirigeant de l’entreprise.
Ce que confirme une analyse des marques qui incarnent le mieux le marketing aujourd’hui – du moins, un marketing honnête et empathique, qui milite pour une société meilleure : nous avons déjà évoqué la Camif, mais il en est de plus anciennes pour porter les mêmes valeurs, comme par exemple Patagonia.
Dans tous les cas, on peut aisément nommer la personne qui incarne le mieux le marketing dans ces entreprises : Emery Jacquillat, Yvon Chouinard, leurs fondateurs ; bien souvent, ces entreprises se définissent comme entreprises à mission.
De là à dire que le marketing de demain ne pourra se déployer pleinement que dans les entreprises à mission, il n’y a qu’un pas, aisé à franchir.
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