Qu’il est loin le temps où le PDG d’une grande marque pouvait dire : « le client peut choisir la couleur de sa voiture, pourvu que ce soit noir ». Depuis Henri Ford, le marketing s’est installé dans les entreprises pour ne plus imposer au consommateur ce qui convient à l’entreprise mais au contraire imposer à l’entreprise de s’adapter aux besoins des consommateurs. Le marketing a ainsi réformé une première fois l’entreprise.

Se faisant, le marketing a développé des stratégies de différenciation, en créant des marques et des produits pour certaines personnes, groupes, communautés ou certains usages, poussant la démarche jusqu’à la personnalisation des offres pour que celui qui le souhaite puisse avoir un produit unique.

Cette liberté nouvelle pour le consommateur de trouver le produit qui lui ressemble a eu, cependant des effets pervers.

La compétition entre les marques a poussé à l’hyper différenciation alors que souvent l’utilité, donc le besoin à satisfaire était le même. Pour justifier quand même la pertinence d’une offre, le marketing a mis en exergue ce qui différencie les uns des autres, d’abord des éléments socio-économiques puis de plus en plus des comportements, des croyances…

Le consommateur s’est retrouvé dans un système où le fait de choisir un produit ou une marque le positionnait dans une « typologie » et l’habillait de ce fait d’un ensemble de valeurs intrinsèques à ce groupe auquel on l’affiliait. Dans certains cas, l’acte d’achat était délibérément le moyen de se parer de ce nouveau costume et d’en être fier, dans d’autre cas cet affublement était subi. Mais dans tous les cas, la marque imposait au consommateur de choisir son camp (Apple ou IBM, Coca ou Pepsi…).

Peu à peu la consommation est devenue un marqueur de sa singularité et même de son identité. Ainsi, nous avons construit une société de consommation où il n’y a plus de particularités au sein d’un groupe partageant du commun, c’est-à-dire d’espaces de liberté dans un ensemble cohérent, il n’y a plus que du particularisme, c’est-à-dire une liberté sans limite qui se détermine en opposition aux autres.

Le marketing en développant la différenciation a donc « dispersé façon puzzle » ce qui fait notre commun.

Comme chaque tendance produit sa propre contre-tendance, certaines marques ont pris le parti de (re)construire du commun, en annonçant que chaque particularité était la bienvenue (« venez comme vous êtes »), en se présentant comme emblème de ce qui fait un peuple (« on n’est pas carré, on est hexagonal » https://www.youtube.com/watch?v=NW-Rgouu4_4) ou en s’appropriant tous les imaginaires positifs d’une culture (« made of France » https://www.youtube.com/watch?v=8EEWp5BV05w).

Les marques, en essayant de proposer un consensus social autour de valeurs sélectionnées par elles-mêmes, fabriquent ce que Raphael Llorca appelle un nouveau « roman national ». Mais est-ce bien leur rôle que d’investir ainsi un champ politique ? Et quel risque cela peut engendrer ? Faute de contrôle et de déontologie, comment assurer que la vision de la société portée par une marque construise le bien commun ? Car il n’y a pas de commun possible sans règle et limite et les marques ne sont jamais très favorables à en poser.

D’autre part, s’ériger en défenseur du bien commun, peut parfois n’être finalement qu’une autre manière de créer de la différenciation, au risque de ne pas être au rendez-vous de ses promesses et de générer une forte déception auprès de son public.

Cependant, certaines marques défrichent une voie nouvelle, fondée sur un commun à développer et avec un marketing qui se différencie des approches traditionnelles.

On peut citer Loom dans le textile ou Mustela dans les soins pour bébé. Dans ces deux cas le commun à promouvoir est celui d’un monde durable et la différenciation se traduit par la mise en lumière de limites à ne pas dépasser ou de renoncements à faire, là où les autres marques continuent de promettre une consommation sans entrave et sans limite.

Ce nouveau marketing n’est pas simplement incantatoire, il agit, au risque d’imposer des contraintes trop fortes à ses clients qui pourraient alors se détourner de la marque. C’est pourquoi en complément, il construit surtout la désirabilité des nouvelles pratiques à mettre en œuvre pour un monde durable et les démocratise pour en faire un commun fédérateur. Il ne réécrit pas un nouveau « roman national » mais propose les premiers récits d’une nouvelle culture universelle respectueuse du vivant. Le vivant n’exclue pas, n’oppose pas et force à tisser des liens, c’est donc en lui qu’il faut aller rechercher la source d’un nouveau commun.

Le marketing a la capacité de réformer à nouveau l’entreprise en la redirigeant vers le vivant.

A chaque marque désormais d’imaginer comment embarquer ses consommateurs dans la construction d’une société inclusive préservant le vivant. Et comme le vivant est d’une incroyable diversité et une source inépuisable d’inspiration, chaque marque peut y puiser de quoi consolider sa différence.

 

Philippe Rondeau : Membre du Conseil Scientifique de l’Adetem – Directeur Développement durable de Sodebo

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